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2 octobre 2005 7 02 /10 /octobre /2005 00:00

Un ouvrage très intéressant écrit par Hélène Merlin-Kajman, professeur de littérature française à l'université Paris III.

1. Elle montre à travers une partie de son ouvrage comment la modernité cherche à détruire le langage.

La modernité considère qu'envisager le langage du point de vue de ses contenus rationnels est une aliénation idéologique. Elle cherche à détruire "la confiance dans cette rationalité inhérente au langage".

En clair, la modernité incite à se méfier de la langue. Il ne faut pas faire confiance au langage humain. C'est une attaque en règle contre la rationnalité.

2. Hélène Merlin-Kajman montre que pour la modernité, dans la langue se joue toujours de la domination.

Pour Barthes : Parler, c'est assujettir. C'est aussi « tricher la langue » et « pourrir le français pour qu'un jour la société française pourrisse ».

Précisons que la langue utilise un signifiant (symbole graphique ou acoustique ; lettres et mots) qui renvoie à un signifié (concept ou contenu sémantique). La chaise est le signifiant qui renvoie au signifié, un objet constitué d'une assise, d'un dossier et  de plusieurs pieds  et qui sert à s'asseoir.

La modernité veut faire de la langue un spectacle, « un leurre magnifique », « un théâtre de mots » purifiés du plan du signifié. Mais note l'auteur, « la logique ne s'apprend pas sans signifié ». Il s'agit de déconnecter le signifié du signifiant.

Les promoteurs de la modernité ont inspiré la politique de l'éducation (école, familles, centres de loisirs...). Leur but : investir l'école, maillon faible de l'Etat et la langue, maillon faible de l'école,  pour subvertir la société. Les nouveaux pédagogues sont obsédés par l'idée que l'école doit devenir le lieu d'une redistribution de pouvoir, donc de la parole. Il faudra réduire les enseignants au silence (représentant au sein de l'institution d'un pouvoir) et « rendre » la parole, « la merveilleuse parole spontanée » aux élèves.

L'enseignant est contraint (par le système) d'enseigner la grammaire et l'orthographe afin de perpétuer une domination. Foucault disait en 1973 que nous nous sommes mis à détester « les maîtres », coquilles vides. Il faut la aussi déconstruire la grammaire.

En conséquence le régime traditionnel de la langue occidental est progressivement remplacé par une communication greffée sur la force animale des corps (tatouages, piercings, stimuli variés issus du langage informatique...).

En 1992 sortait une Grammaire française et impertinente dont le but est l'inversion des qualités de la langue classique (pureté, chasteté, civilité, rationalité).

La liste est longue de ces exercices pédagogiques ou des livres pour enfants (dès le plus jeune âge) qui sont fondés sur la "distanciation paradoxale à l'égard des mots et de la logique".

"Les figures d'autorité  -parents, enseignants, rois... - lui sont fréquemment présentées comme des figures perverses ou ridicules". On incite l'enfant à s'en méfier ou à s'en moquer. "Les personnages auxquels il peut s'identifier n'acquièrent souvent sa sympathie qu'à condition de manifester leur irrespect à l'égard des règles linguistiques ou scolaires".

L'auteur conclut en précisant que la langue y est souvent présentée de manière à détourner l'enfant des certitudes qu'elle peut véhiculer pour le diriger vers des modes de communication non rationnels (tatouage, code mathématique...).

On retrouve cette attaque en règle de la modernité contre la rationalité(ce qui est conforme à la raison), la réflexion, l'analyse et le savoir.

 

La conséquence c'est que les adultes "en refusant d'assumer leur rôle de locuteurs (celui qui parle) autorisés et fiables" empêchent les enfants d'accéder au langage représentatif. Ludwig Wittgenstein va plus loin et estime que ce qu'on refuse aux enfants, c'est tout simplement l'apprentissage. "L'illettrisme pourrait avoir de beaux jours devant lui" ajoute hélène Merlin-Kajman.

Il est donc important d'offrir à nos enfants dès le plus jeunes âge des ouvrages de qualité qui respectent la rationalité.

3. Dans un cahier d'entraînement aux problèmes pour le CE1.

"Sylvain porte 3 cartons. Chaque carton pèse 4 kg.

Béatrice porte 4 cartons. Chaque carton pèse 3 kg.

Qui porte la plus lourde charge?"

Hélène Merlin-Kajman analyse cet exercice et montre que la formulation de cet exercice est trompeuse. L'énoncé contient un défaut de logique, une impertinence. Il faut les déjouer.

Cet exercice vise à contrôler la compétence en calcul du jeune écolier. Il y a une réponse juste et une seule, à laquelle il parvient par les règles de mathématiques qu'il a apprises. Mais voici qu'au stade de l'apprentissge, sans crier gare, langage naturel et langage mathématique se sont séparés.

La question n'est pas d'une neutralité bienveillante propre à laisser s'exercer seule la compétence en calcul de l'enfant. Elle l'engage sur la voie de l'erreur ou de la perplexité.

Pour réussir l'enfant devra obéir à la règle mathématique connue de lui et désobéir à son sentiment éthique et linguistique. Pour trouver la solution à la question, il faut sortir du langage, s'arracher à la familiarité de ses liens, il faut disjoncter.

L'auteur montre qu'une partie de la pensée moderne s'organise autour de l'injonction contradictoire (recevoir deux messages à la fois, dont l'un contredit l'autre).

4. Les QCM, questionnaires à choix multiples, sont présents dans de nombreux examens(médecine, concours aux grandes écoles...).

Ces tests n'ont pas été conçus pour développer chez le candidat le sens de la réflexion , mais pour faciliter un traitement informatique des résultats ou la rapidité des corrections. Basés sur une mise en système binaire du savoir(vrai/faux), ils induisent chez les candidats entraînés à les affronter, une simplification extrême de la pensée et du langage et les invitent à envisager la totalité du savoir selon un découpage manichéen.

Nous sommes loin d'une analyse fine et d'une réflexion approfondie sur le savoir.

Hélène Merlin-Kajman, auteur de cette réflexion donne un  exemple caricatural.

"Quelqu'un vous fait remarquer que le soleil s'est levé à l'est. Vous en concluez que : A. Vous êtes dans l'hémisphère Nord;    B. Le soleil tourne autour de la terre;   C. La terre tourne sur elle-même;  D. la terre tourne autour du soleil."

La bonne réponse est C. S'il suffit d'observer le Soleil se levant à l'est pour conclure que la terre tourne sur elle-même plutôt que par exemple, le soleil tourne autour de la terre (B), on se demande pourquoi il aura fallu attendre Copernic pour oser en formuler l'hypothèse.

(Questions de culture générale. IUFM de Lyon - 1996. Admissibilité en 1ère année d'IUFM, Préparation à l'épreuve).

L'auteur conclut son ouvrage par une belle phrase : « Non, la page du XXIème siècle n'est pas vierge. Nos parents nous ont précédés comme nous précédons les enfants qui naissent et grandissent aujourd'hui. Ces derniers parleront selon la confiance que nous aurons faite au langage et à sa vieille sagesse plurielle. »

Je vous souhaite de transmettre à vos enfants, à vos élèves, à votre entourage, une langue belle, riche, nuancée, de bon sens et assise sur la raison. « Aménageons pour les jeunes générations une scène humaine suffisamment bienveillante pour accueillir l'enfant dans l'univers du langage et l'inviter à y prendre place(Wittgenstein). »

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2 octobre 2005 7 02 /10 /octobre /2005 00:00

Je viens de découvrir Richard Millet à travers les réponses qu'il donne à Delphine Descaves et Thierry Cecille dans  "Harcèlement littéraire".

Il explique dans une interview (Nouvel Obs.) que : "La réduction, la simplification conduisent à une pauvreté linguistique, très dangereuse sur le plan politique. Les régimes totalitaires se sont particulièrement occupés de la langue. Toute langue propose une vision du monde. Plus elle se simplifie, plus la vision est pauvre: les moutons ne parlent pas...".

A la question : "Le français classique, c'est fini? " Il répond :
"Oui, tué par l'école, la radio, la télévision, le capi-talisme. L'enseignement, par exemple. La littérature n'a plus valeur de référence. Les enfants, du reste, ne lisent plus, ou très peu. On me dit qu'ils lisent «Harry Potter». Peut-être, mais que lisent-ils d'autre? «Harry Potter» est un produit dérivé, pas un livre. "

Lorsqu'il souligne que la littérature n'a plus valeur de référence il voit très juste. C'est effectivement ce qui se passe en majorité dans les classes. Tous les auteurs sont mis sur le même plan.

Dans un interview à l'Express il précise :

"La langue bascule dans l'inconnu, l'enseignement ne remplit plus son rôle. On est dans l'ère de la non-transmission, dans l'ère du faux. A quelques exceptions près, ce qui se publie aujourd'hui n'est que de la fausse monnaie. Or jamais on ne l'a autant prise pour de la vraie. L'inflation de livres est une dérive démocratique où s'installe dans l'esprit des gens l'idée que chacun peut écrire et même doit écrire."

Et glané ailleurs sur  Houellebecq il lâche ces mots :

 

"Chez Michel Houellebecq, malgré les solécismes, le relâchement de la langue, dont on peut d'ailleurs se demander s'ils ne sont pas recherchés, quelque chose se joue là, de façon symbolique, plus que dans l'intrigue : une misère de langue révélatrice de la misère sexuelle contemporaine qui est, n'est-ce pas, une chose considérable, reflet de l'échec moral d'une civilisation."

 

Je vais lire cet ouvrage d'un homme qui va à contre-courant et qui a raison car comme le dit un proverbe africain : "Quand tous les gens vont dans le sens du courant, ça fait rire les crocodiles: ils n'ont qu'à ouvrir la gueule!".

Mais ne restons pas sur une note négative car nous pouvons faire découvrir à nos enfants la littérature française, celle qui a traversé les siècles ou qui les traversera. Celle que définit l'auteur par ces mots:

"Un écrivain, un vrai, met sa vie en jeu au sens où il n'existerait plus s'il n'écrivait pas. Sa quête est presque spirituelle. On est loin des questions de charme! Sagan, Gavalda et leurs avatars nothombesques sont de la sous-littérature. Ça n'existe pas comparé aux authentiques écrivains. Il n'y a pas deux types de littératures. Il y a la littérature - qui se réduit à quelques noms par siècle - et puis le reste. Le roman est devenu un instrument de promotion sociale comme le rap dans les banlieues! "

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